Le Chat Pardtou se mit en garde, prenant son air le plus féroce et sa pause la plus cérémoniale, bras tendu, fleuret en main. Le soldat visé éclata d’un rire sonore et grave et pointa le chat de son gros doigt sale en se tenant les côtes. Plié en deux, n’arrivant pas à reprendre son souffle sous son hilarité, il réussit à lancer entre deux fous rires :
— Un chat avec une rapière et des bottes. Ha ! Ha ! Ha !
Pardtou, vexé au plus haut point par le comportement insolent de cet ignoble soldat mal léché, partit à l’assaut, se jeta sur ce dernier, lui entailla la jambe gauche, le bras droit et atterrit d’un bond rapide et souple sur son casque. Le soldat, qui avait cessé de rire dès la première entaille, leva rageusement les bras pour attraper la sale bestiole. Trop tard, Pardtou était déjà loin.
— Attrapez-le ! ordonna le soldat, très agacé par cette fourberie.
Ses subalternes le regardèrent, sourcils levés, interrogateurs, se demandant quelle blague leur réservait encore leur supérieur, puisqu’il n’y avait personne en vue en dehors d’un joli petit matou domestique et joliment paré.
— Mais le chat là, attrapez-moi ce sale chat !
Les soldats, hésitants et plutôt perplexes, étaient encore à se demander s’il fallait ou non exécuter l’ordre, malgré l’évidence qu’il s’agissait d’une énième, et vilaine farce, de leur chef.
— TOUT DE SUITE !
Chat Pardtou, « après avoir essuyé des blizzards hurlants, des déserts cuisants, il a grimpé vers la plus haute salle de la plus haute tour »* de la sombre forteresse, et se trouvait déjà à mi-hauteur lorsque des flèches commencèrent à fuser en tous sens. Il bondit sur le bord d’une fenêtre et se glissa souplement à l’intérieur, sans oublier d’exécuter une révérence crasse, avec son chapeau, aux soldats restés en bas.
Approchant à grands pas de sa destination, il ne put qu’ouïr les cliquetis sonores des armures s’entrechoquer maladroitement au pied de la tour – et résonner contre les murs humides de l’escalier en colimaçon – lorsque les soldats s’engouffrèrent vers l’unique accès trop étroit pour passer à deux de front, se bousculant dans leur hâte d’être le premier à occire le vilain chat qu’il était.
Arrivé devant la porte, qu’il ouvrit de deux coups de pattes guerrières, il pénétra dans une sombre pièce et découvrit, le cœur en émoi, la plus belle des créatures de tout le royaume.
Allongée paisiblement sur une couche de velours et de broderies, elle était plongée là, dans un sommeil profond, qui d’après les légendes, durait depuis près d’un siècle. Et seul le plus courageux et valeureux des chats pouvait la réveiller d’une lèche avisée sur son adorable truffe rose.
Elle avait les oreilles pointues, se terminant en une touffe de poils lustrés, des cils raffinés et une moustache étincelante. Les rayons du soleil inondaient d’une douce lumière, depuis la fenêtre, la délicate féline endormie, illuminant de reflets éclatants son doux pelage neigeux.
Pardtou s’approcha de la belle d’un pas svelte, entendant déjà les soldats se rapprocher, enleva son chapeau avec révérence, se pencha sur la merveilleuse créature et lui lécha amoureusement le museau.
La gracieuse féline ouvrit alors de grands yeux, sourcils froncés d’une colère noire, poussa un feulement strident pour donner l’alerte et envoya farouchement sa délicate patte, aux longues griffes acérées, sur la joue de Chat Pardtou qui laissa échapper – bien malgré lui – une exclamation de douleur digne du plus fébrile petit chaton de la portée.
Toujours interloqué de s’être fait ainsi repousser avec tant de véhémence, Pardtou pesta hargneusement, salua la belle tigresse d’une courbette narquoise et sauta par la fenêtre. Il attrapa son fouet fixé à sa ceinture, le lança adroitement et accrocha son extrémité à la poulie de la lourde grille en fer forgé, déjà en train de s’abaisser. Il atterrit d’une habile pirouette juste devant le lieutenant offusqué, tira son épée et – de sa pointe – signa son nom d’un P, sur le plastron du malheureux.
Se jetant au bas de la grille, il passa dessous en une glissade poussiéreuse et d’un rapide mouvement de la patte récupéra son chapeau, resté de l’autre côté, juste avant que ne se ferme la herse sur un bruit assourdissant et sonnant le glas de cette histoire.
© Claytone Carpe 2017
* citation tirée de Shrek 2