Mohanä ouvrit des yeux rouges d’épuisement. Je me suis assoupie. Quelle idiote ! Elle regarda autour d’elle, inquiète, l’ouïe aux aguets et le cœur palpitant. Pas un bruit. Elle se pencha légèrement, quittant le réconfort du tronc dans son dos, puis baissa la tête sur la blessure à sa cuisse, causée par une flèche.
Elle suppurait et une odeur âcre s’en échappait. Lasse, elle reposa la tête contre l’écorce de l’arbre et ferma de nouveau les yeux, prise de lassitude. Autant les attendre et en finir une bonne fois pour toutes. De toute façon elle n’arriverait pas à leur échapper. Elle était harassée et sa jambe pouvait à peine la soutenir. En tant que métamorphe, elle guérissait en général plus aisément que les humains, or là, la blessure était toujours ouverte et purulente. Elle se baissa de nouveau et renifla la plaie avec son odorat d’euchore et sous les relents âcres de l’infection elle sentit une exhalaison plus amère. Du poison, évidemment !
C’était pour cette raison que la blessure ne se refermait pas et qu’elle était incapable de se métamorphoser. L’antilope qu’elle était aurait couru bien plus vite qu’elle sous sa forme humaine.
Mohanä se remit debout tant bien que mal, prenant appui contre le tronc et les branches basses du vénérable érable. Elle trébucha, persista et réussit enfin à se tenir sur ses pieds, avec toutefois l’assurance d’un nouveau-né. Dès qu’elle fut certaine de sa stabilité, elle se remit à détaler. La sueur plaquait ses cheveux dorés sur son visage blême, lui piquant ses yeux azurites. Elle serrait les dents sous les élancements constants de la blessure, mais s’obstina à courir.
Soudain, un bruissement de feuilles sur sa gauche, en hauteur, attira son attention. Elle leva la tête, suivant la direction d’où provenait le bruit et découvrit un homme, debout sur une haute branche, le visage dissimulé sous une large et sombre capuche, tenant un arc bandé, dont la pointe de la flèche, affûtée et brillante, la ciblait. Résignée, elle tomba lentement à genoux, sans quitter des yeux l’ombre dissimulant le visage de son assassin.
Elle en fut presque soulagée, plus besoin de courir, de fuir ou de souffrir.
Il allait l’achever. Elle ferma les yeux, attendant, stoïque, sa fin tragique.
Mais les secondes s’égrenèrent sans qu’elle sentît le moindre impact et curieusement elle s’en agaça. Elle rouvrit les yeux pour dévisager l’archer qui, au même instant, libérait la flèche qui siffla tout près de son oreille pour aller sitôt se planter en plein cœur d’un de ses assaillants qui l’avaient rattrapé et qui, à son grand étonnement, se trouvait juste derrière elle. Elle ne l’avait même pas entendu approcher.
Elle se redressa avec difficulté, laissant échapper un gémissement de souffrance et un rictus tourmenté. Elle regarda derrière elle et les découvrit, ses traqueurs, seulement à quelques mètres d’elle, approchant en silence, le regard mauvais et la posture tendue des prédateurs à l’affût.
Courez ! crut-elle entendre dans son esprit. Elle recula d’un pas, heurta une pierre et s’affala lourdement au sol. Se redressant en hâte sur les coudes, elle vit alors ses ennemis tomber les un après les autres à une vitesse surprenante, un carreau fiché qui dans un œil, qui dans une gorge ou dans un cœur. Leurs cris d’agonie résonnèrent à ses oreilles comme une douce mélodie. MAIS FUYEZ BON SANG ! Cette étrange voix masculine retentit de nouveau dans son crâne en un écho tranchant, affûtant son esprit engourdit pas le poison. Mohanä considéra son sauveur, et visiblement la voix dans sa tête, avec des yeux effarés. Il lui fit un geste de la tête pour l’intimer à prendre la fuite et reprit ses tirs. Elle regarda son carquois, il était presque vide et il restait encore nombre d’hommes à abattre.
L’adrénaline aiguisant ses perceptions, elle se remit à fuir, mais fut rapidement à bout de souffle et de force. Et alors qu’elle trébuchait pour la énième fois, elle fut saisie par de larges et solides bras qui la soulevèrent aisément de terre pour la placer brutalement sur une épaule, celle de l’archer qui avait effectué la manœuvre sans même s’arrêter de courir.
© Claytone Carpe 2017