Ils avaient installé leur bivouac non loin d’un petit étang, et l’envie d’aller se laver poussa Mohanä à partir inspecter la zone pendant que Lowen, éclipsé depuis un moment, devait courir la forêt en quête de baies ou de champignons, du moins le pensait-elle.
Lorsqu’elle arriva sur la berge, elle entendit des clapotis. Lowen était en train de nager en direction de la rive. Elle recula lentement, s’apprêtant à faire demi-tour discrètement, lorsqu’il l’interpella.
— Mohanä, attends, ne t’en va pas. J’allais sortir de toute façon.
La métamorphe, un petit sourire en coin, ne lui révéla pas que c’était justement sur cette conjecture qu’elle avait tenté de s’éclipser. Elle se rapprocha toutefois de la rive, observant son compagnon de voyage à la dérobée. Lorsqu’il sortit de l’eau, elle baissa vivement la tête, soudain très gênée, et se retourna pour scruter les frondaisons comme si ces dernières recelaient quelques merveilles bien cachées. Elle l’entendit rire derrière elle, très amusé par sa réaction.
— C’est bon, tu peux te retourner, je suis décent.
Il était torse nu, n’ayant enfilé que son pantalon, et contemplait les eaux calmes, assis sur un rocher.
— C’est paisible ici, murmura-t-il.
Mohanä s’apprêtait à répondre lorsqu’elle aperçut les longues cicatrices recouvrant le dos de l’archer. Un hoquet de stupeur lui échappa et il se retourna pour voir ce qui l’avait ainsi perturbé. Il grogna en comprenant, mais se replongea dans la contemplation du paysage.
— Excuse-moi, souffla-t-elle, rouge de honte.
— C’est du passé, répondit-il, stoïque, sa placidité néanmoins envolée.
Elle s’avança et effleura du bout des doigts les stigmates qui creusaient, par endroits, de profonds sillons dans la chair. Il se raidit sous le contact, mais ne bougea pas.
— Ça te fait toujours mal ?
— Pas physiquement.
Ce qui sous-entendait bien des souffrances. Mohanä laissa glisser sa main le long des cicatrices et un frisson parcourut l’échine de Lowen. Il y en avait tellement que par endroit la peau lisse n’existait même plus. Il tourna légèrement la tête, le menton près de l’épaule, une lueur étrange au fond des yeux. Elle croisa son regard et recula aussitôt les doigts. Imbécile ! se morigéna-t-elle.
— Tu devrais aller de baigner avant que la nuit ne nous rattrape. Je vais t’attendre sur la berge.
Le ton de sa voix était suffisamment impérieux, malgré sa douceur apparente, pour ne souffrir d’aucune objection. Elle s’approcha alors de la rive et regarda par-dessus son épaule pour voir s’il lui laissait un peu d’intimité. Leurs iris se croisèrent. Le regard de Lowen se fit songeur, et sans que Mohanä sache pourquoi, elle rougit. Il la fixa encore un instant, intrigué, avant de se lever et de se retourner. Elle se pressa de se dévêtir et de rejoindre l’étendue liquide et glacée. Elle inspira profondément et plongea pour observer tranquillement la faune.
L’eau cristalline lui permit de distinguer les petits poissons qui se faufilaient habilement entre les algues, et les minuscules crevettes qui couraient, pressées comme n’importe quelle crevette, sur les galets au fond du lit.
Soudain un grand plouf perturba la sérénité de l’étang. Mohanä remonta à la surface pour voir ce qui se passait, émergea, et se retrouva nez à nez avec Lowen. Une exclamation de surprise lui échappa alors même qu’elle portait la main à son cœur qui avait eu un raté, affolé.
— Tu vas bien ? demanda-t-il d’une voix paniquée, posant sa large main sur sa joue.
— Oui, je… je faisais juste un peu d’apnée Lowen.
— Tu m’as fait peur, j’ai cru que tu t’étais noyée.
Il pressa un peu plus la joue de Mohanä, caressant sa pommette du pouce comme pour se rassurer et s’assurer qu’effectivement elle allait bien et leurs prunelles s’accrochèrent.
© Claytone Carpe 2017